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Maarten Van Severen

27 octobre - 01 décembre, 2001

Galerie kreo
31, Rue Dauphine
75006 Paris
+ 33 (0) 1 53 10 23 00
Maarten Van Severen - Maarten Van Severen

Faire face, ensemble, au monde.
Les meubles de Maarten Van Severen sont des demeures. Non seulement parce qu’ils s’installent dans l’espace de façon solide et silencieuse, emplis d’évidence et de clarté, d’une certitude rassurante sur leur présence, « leur être au monde ». Mais surtout parce qu’ils sont des espaces en eux-mêmes...

Faire face, ensemble, au monde.
Les meubles de Maarten Van Severen sont des demeures. Non seulement parce qu’ils s’installent dans l’espace de façon solide et silencieuse, emplis d’évidence et de clarté, d’une certitude rassurante sur leur présence, « leur être au monde ». Mais surtout parce qu’ils sont des espaces en eux-mêmes. Des espaces humbles, calmes et apaisés. Maarten Van Severen ne décrit-il pas certaines de ses tables, de ses étagères ou de ses bibliothèques comme des extensions, des projections du sol ou du mur dans le vide ? N’aime-t-il pas citer le tableau du « Christ dans sa tombe » d’Hans Holbein qui, quelque soit le support, semble littéralement creuser la feuille sur laquelle il est imprimé. Et de poursuivre cette recherche par l’inclusion de certain meuble dans le mur ou par le doublement du mur à partir de la peau du meuble. Ainsi, à prêter un peu plus attention à ce que ses meubles énoncent, les définit-on plus précisément comme des réceptacles, des contenants pour des contenus à venir, des pleins en attente. Et la vue de la table en aluminium recouverte de rosée a-t-elle fait surgir immédiatement à mon esprit ma première confrontation avec une « pierre de lait » de Wolfgang Laib, cette plaque de marbre blanc de format carré patiemment creusée pour recevoir une fine couche de lait que, durant tout le jour, le marbre va « boire » et qu’il faudra renouveler ainsi chaque matin. Les meubles de Maarten Van Severen sont des demeures parce qu’ils sont faits de cette attention de chaque instant à la justesse d’un volume, d’une surface, d’une ligne, d’un matériau, d’une texture, d’une couleur. Mais aussi parce qu’ils sont faits de cette inflexion, de cette attente, de cette acceptation à recevoir autre chose qu’eux-mêmes, une autre chose qui leur permet de s’accomplir sinon d’exister par la présence même de cette altérité. Comme si ils avaient à « faire ensemble ».

D’ailleurs, il est très surprenant de remarquer les meubles de Maarten Van Severen exposés dans un magasin ou sur un show-room immaculés et solitaires, et les retrouver dans son propre atelier ou chez un client — ou dans ces maisons particulières que réalise l’architecte hollandais Rem Koolhaas auxquelles il collabore souvent — encombrés et traversés d’objets, de papiers, de livres, d’ordinateurs, de nourritures ou de toutes ces choses multiples qui font et que produisent nos vies quotidiennes… Ce sont rigoureusement les mêmes, tout aussi solides, calmes, paisibles. Non pas parce que le mouvement du monde les indiffère, ou qu’ils veuillent l’ignorer, mais au contraire parce qu’ils reçoivent et recueillent le passage du temps avec sérénité, légèreté et délicatesse, que ce soit le poids du corps dans un fauteuil, sur une chaise droite ou longue, de table ou de bureau, que ce soit l’amoncellement ou la dispersion des objets sur une table, une étagère ou dans une armoire de rangement. Et si l’on a trop rapidement remarqué leur dépouillement apparent, leur rigueur de conception et leur sens de l’économie, on aurait pu tout aussi bien noter leur confort, leur sensualité et leur tacticilité, presque leur générosité ou leur empathie ; soit, tout compte fait, un certain maximalisme !… Aussi se satisfont-ils bien plus du désordre de la vie que de l’ordre des principes arrêtés, comme l’illustre si bien la photographie qui orne la couverture du premier livre consacré à l’ensemble de son travail aux éditions Ludion et que l’on retrouve, agrandie, dans l’atelier de Maarten Van Severen à Gand. Dans une une cour pavée ensoleillée, à l’ombre d’un mur de briques, une petite fille en robe rouge se tient debout pieds nus sur la chaise « .03 » éditée par Vitra. Sous son poids, l’assise en mousse de polyuréthane se creuse comme pour en démontrer la résistance, la souplesse mais aussi la décontraction. Non pas la preuve par le vide, mais la preuve par le plein, le plein de vie, de la joie, de l’humour. On est ici bien loin de cette pureté moderniste attendue…

Maarten Van Severen n’ignore bien évidemment rien des avants-gardes du début du siècle. Pourtant, loin de n’être que des formes ses meubles sont plutôt des présences ; loin de n’être que des lignes ce sont des silhouettes ; loin de n’être que des fonctions ce sont plutôt des usages ; loin de n’être que des meubles ce sont plutôt des espèces d’espaces, des reflets de clartés, des coins d’ombres… Un croquis de 1992 pour la chaise « n°2 » esquisse en plusieurs traits superposés la ligne souple et continue qui parcoure le dossier de l’assise d’une chaise qui fait face à un vaste rectangle tracé par quatre lignes droites nettes et précises. Comme si le dessin d’une chaise dépendait de l’expérience d’un tableau ? d’une fenêtre ? d’une ouverture au monde ?, ou plutôt de leur complémentarité, de leur liaison, de leur relation. A l’instar de cette œuvre de James Turrell perchée sur le toit du Mukha d’Anvers — musée où sont également exposées les peintures de son père Dan Van Severen. A l’intérieur d’un vaste cube de bois clos est installé un banc continu sur les quatre côtés. Bien assis, le corps tend alors à contempler le carré de bleu pur qui s’inscrit au plafond, jusqu’à comprendre que ce carré n’est qu’une simple et précieuse ouverture sur un ciel bien réel et vivant. Puis l’œil et l’esprit, malgré la connaissance, malgré la révélation du secret, retombe dans la contemplation, dans le mystère et le miracle de l’apparition. Cinq ans plus tard, dans le travail de Maarten Van Severen, le rectangle s’est renversé, il est devenu lui même pièce de mobilier, « blue bench », territoire d’appropriation, lieu de vie, de jeu, de plaisir, de miracle…

Ainsi, même si, de projets en projets, Maarten Van Severen semble dérouler une sorte de grammaire du mobilier : trois fauteuils bas, trois chaises, cinq tables, une table basse, une chaise longue, trois étagères, deux meubles bas, six armoires de rangement, une table, une chaise et un meuble de rangement pour le bureau, un canapé, trois lampes…, son projet ne semble pas être pour autant la recherche de la quintessence de chacun d’entre eux, leur traduction plastique la plus parfaite, leur signe pur ou leur allégorie, autrement dit le polissage de chaque mot. Si chacun de ses meubles est bien évidemment le meilleur meuble qu’il puisse faire à un moment donné à partir des techniques et de l’économie de production actuelles, il est également fait de ce que ce meuble nous et lui dit, aujourd’hui. Ainsi, s’ils produisent leur propre espace pour mieux accueillir l’altérité, les meubles de Maarten Van Severen semblent également emplir et parcourir leur propre nature ou leur propre définition dans toutes ses acceptations linguistiques ou polysémiques, et cela à partir et en fonction de notre temps présent. Ainsi il ne s’agit jamais d’un problème auquel il faudrait apporter une réponse, mais d’une histoire ou d’une culture dans lesquelles il nous faut s’ancrer, dans lesquelles il nous faut verser le vécu de la vie. Comme si la parfaite intériorisation de cette définition, de cette nature précédait l’existence de chaque projet et en justifiait la présence de même que l’actualité. Et comme si le meuble une fois fini et donné au public en était imprégné en lui-même. Car dans l’œuvre de James Turrell, le carré bleu n’est pas l’icône du ciel, il est le ciel re-chargé de tout ce que nous pensons, rêvons, faisons du ciel. Et ce n’est pas le passage d’un nuage qui va troubler notre rapport à l’œuvre. Au contraire, ce passage du nuage est sans doute la chose la plus émouvante et délicate qui puisse arriver parce qu’il nous dit — ou re-dit — que nous naissons à la vie. Un des derniers projets de Maarten Van Severen illustre plus que tout autre, mais avec combien de simplicité, ce propos. Pour la première fois, une couleur ajoutée sera utilisée dans une armoire ou rangement en métal. Une couleur, des couleurs, portées chacune par autant de panneaux coulissants que l’on peut assembler selon notre propre plaisir, notre désir ou notre volonté. Comme des volets devant une fenêtre, des cloisons autour d’un espace clos. Des choses sur les mots, des mots sur les choses. Passage de la lumière et passage de l’ombre. Passage du temps et passage de la vie.

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Charles-Arthur Boyer, 2001

Images de l'exposition

  • Maarten Van Severen - Maarten Van Severen
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 - Maarten Van Severen - .

Maarten Van Severen (1956-2005) est un designer belge, fils du peintre abstrait Dan Van Severen. Il a étudié l’architecture au Saint-Lucas Institute à Gand. Il monte un atelier en 1985 pour se consacrer à ses projets personnels de meubles et d’aménagements d’intérieur. La plupart des pièces de mobilier qu’il réalise par la suite, entre 1988 et 1995, sont éditées par l’entreprise néerlandaise Lensvelt.

Maarten Van Severen a également conçu l’aménagement intérieur de la Villa Dall’Ava (1991) à Saint-Cloud et de la Maison Lemoine (1999) à Floirac en France en collaboration avec le cabinet de Rem Koolhaas, l’Office for Metropolitan Architecture (OMA)...

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