« Des impressions colorées, des formes qui éclosent, des émotions ». C’est ainsi que Ronan Bouroullec évoque le flux d’images qui sous-tend son travail et manifeste la manière dont il se développe, se ramifie, se déploie simultanément sur des territoires créatifs parallèles.
L’exposition de Ronan Bouroullec présentée par la Galerie kreo à la rhinoceros gallery à Rome témoigne de cette simultanéité de pratiques artistiques qui privilégie l’expérience sensible, l’intuition, et laisse la place à l’improvisation.
Elle rassemble des vases réalisés en 2022 à Tajimi au Japon -berceau et centre de la céramique Mino Yaki depuis plus d’un millénaire-, une série de bas-reliefs récents, un ensemble de grands dessins inédits, et des pièces issues de recherches pour la Chapelle Saint-Michel de Brasparts, en Bretagne, jamais encore exposées.
Elle est un moment d’assemblage de ces propositions, inscrites dans les champs contigus du design, de la sculpture et du dessin. Dans ces champs ou plutôt à leurs bords, à leurs limites, là où peuvent se produire les osmoses. Le vase comme lieu de la frontière la plus ténue entre les dimensions plastique et d’usage, les statuts de sculpture et d’objet. Le bas-relief comme espace d’hybridation du dessin et de la sculpture. L’objet qui articule la question de la forme et celle de l’atmosphère. Elle témoigne d’une période de vie et de travail de 2022 et 2023.
Ce qui unit ces histoires, au-delà de la chronologie, c’est la notion même d’assemblage, dont Ronan Bouroullec évoque ainsi l’importance: « Si on prend ce vase, cette table, je pense que le cœur de mon langage, c’est ce qui touche à leur mode d’assemblage, à la manière dont les formes, les plans, les matériaux se rencontrent en eux ».
C’est l’assemblage de cinq formes combinées par groupes de deux, trois, quatre ou cinq, qui donne naissance aux vases de Tajimi. Les éléments sont issus d’un processus mécanique d’extrusion de l’argile, ce qui renforce la sensation de leur poids, de leur densité, de leur présence. Ce procédé permet également de donner à leurs angles un degré de précision tel que l’émail n’y adhère pas de la même manière que sur le reste des surfaces. Avec pour résultat un léger contraste qui vient affirmer la forme, et répond à la subtilité des infimes déformations qui interviennent à la cuisson. Ces minuscules irrégularités confèrent à l’assemblage résolument simple des pièces géométriques leur extrême délicatesse, leur mystère et leur charme.
La question de l’assemblage est aussi centrale dans les bas-reliefs, car elle détermine la dynamique de la relation entre le volume et le plan, la forme et le décor. Si tous les motifs sont réalisés en céramique, issus du même geste libre évoqué plus haut, les fonds et les cadres proposent en revanche deux directions complémentaires, mises en tension, entre lesquelles le dialogue s’instaure. Les uns, en aluminium anodisé, jouent sur un effet presque synthétique de halo ; les autres, au pastels gras sur bois -avec un cadre en céramique-, leur répondent sur le ton de l’intime et de la profondeur.
Assemblage des matériaux, l’acier forgé martelé, le verre et le granit de Huelgoat pour les chandeliers et les tables, qui obéissent aux principes ayant guidé le projet de la chapelle bretonne: la recherche de la réduction à l’essentiel du vocabulaire, de l’équilibre entre les sensations de masse et de légèreté, de la vibration des choses par le traitement des surfaces.
Assemblage, enfin, des lignes de feutre dans les grands dessins dont la presque totale monochromie accentue la perception des points de contact, de la pulsation rythmique, des moments de saccade et des instants de glisse.
Ce qui y est donné à voir, avec sa gestualité, c’est le temps même du dessin : un temps linéaire, continu, synchrone avec le temps ressenti, le temps vécu, marqué par l’immédiateté, par la contemporanéité du geste et de son résultat. Le temps de la création et celui de la vie accordés.
Martin Béthenod