La nouvelle collection de luminaires du Studio Wieki Somers (Rotterdam) offre le plaisir de son évidence et de son altérité. À peine les avons nous approchés qu’elles nous semblent déjà familières, ces figures lumineuses – d’une familiarité dans laquelle nous reconnaissons l’autre...
La nouvelle collection de luminaires du Studio Wieki Somers (Rotterdam) offre le plaisir de son évidence et de son altérité. À peine les avons nous approchés qu’elles nous semblent déjà familières, ces figures lumineuses – d’une familiarité dans laquelle nous reconnaissons l’autre. Cette proximité, ce n’est pas celle de notre quotidien, de notre culture mais plutôt celle que notre imaginaire et notre fascination pour l’ailleurs nourrit sans cesse, pour ce qui, dans une culture étrangère, séduit et demeurera pourtant indéchiffrable. Ce qui n’est pas la moindre des séductions.
Plus grands que nous, les sept lampadaires réunis sous le terme de « mitate » habitent l’espace de la galerie. Ils la protègent même, flamboyants samouraïs. En japonais, « mitate » signifie regarder un objet d’une manière différente de l’habitude, envisager cette chose comme autre chose afin de l’expérimenter d’une façon renouvelée.
Essentiel dans la culture nippone, ce principe préside notamment à l’art de l’ikebana. En Occident, Alfred Stieglitz avec sa série photographique des Équivalents (1922–1935) nous a appris à regarder ainsi les nuages, tandis que le génial Robert Filliou (dont on connaît l’aventure japonaise) nous suggérait : «Quoi que tu penses, pense à autre chose. Quoi que tu fasses, fais autre chose.» Il serait tentant d’ajouter : «Quoi que tu dessines, dessine autre chose».
Depuis 2003, le Studio Wieki Somers a fait sienne cette philosophie pour inventer, en reprenant le concept du « réalisme magique », une pratique fantastique du design : constamment, et souvent en s’inspirant du réel le plus prosaïque ou de coutumes ancestrales, ses créations introduisent de la fantaisie dans les objets les plus communs, promouvant une lecture enchantée de notre quotidien. Une baignoire se fait barque (Bathboat, 2005) ; le vestiaire d’un musée se métamorphose en manège interactif (Merry-go-round Coat Rack, Boijmans van Beuningen Museum, Rotterdam, 2009), une théière dissimule un crâne de rat (High Tea Pot, 2003). Ses précédentes créations lumineuses portent également cet esprit : le plafonnier Bufferlamp (2002) offre la lumière dorée d’un port au crépuscule, l’iconique Bellflower (2007) se tisse de son seul fil électrique en fibre de verre et carbone ; les lampes glacées de la collection Frozen in Time (2010) nous rafraichissent instantanément.
Avec Mitate, le jeu d’échos entre la simplicité des lampadaires et la sophistication de formes culturelles nippones trouve son origine dans plusieurs séjours au Japonentre 2011 et 2012. De ces voyages,notamment à la découverte des savoir-faire locaux, le Studio Wieki Somers a rapporté sensations, matières et images. Tout d’abord, celles de ces énigmatiques drapeaux samouraïs du XVIe dont les motifs identifiaient les clans et démontraient leur pouvoir, dont la fabrication et l’usage relevaient du rituel (Jin, Fabric Lamp). À leur sujet, Wieki Somers écrit : « Nous avons souhaité créer un équivalent contemporain de ces drapeaux en les traduisant sous forme de lampadaires – une famille de lampes ». Puis, celle de ces geishas protégeant la blancheur de leur teint des assauts du soleil (Chuugi, Black Hole Lamp) ; celle de ces jardins de pierre recréant pour le plaisir des yeux l’intensité du monde (Gi, Cord Lamp) ; celle de cette poupée traditionnelle semblant jongler avec ses chapeaux (Rei, Shields Lamp).