Il est un meuble qui, pour tout designer digne de ce nom, constitue on ne sait vraiment pourquoi une sorte de passage obligé, une quête ultime sans laquelle point de reconnaissance : la chaise. Le tabouret, lui, est loin de s’enorgueillir de telles faveurs. Sans doute est-ce parce que ce « siège à quatre pieds qui n’a ni bras, ni dos » (dixit Le Littré) n’épouse pas entièrement le galbe du corps humain, juste sa partie réputée la moins noble : le séant. Il n’empêche. La brève histoire du design regorge de spécimens notoires : le tabouret dit « d’Ulm » conçu par Max Bill et Hans Gugelot, le Butterfly de Sori Yanagi, le Mezzadro des frères Castiglioni, le Rocking d’Isamu Noguchi, le Time-Life des Eames…
Le tabouret est un objet ultra-fonctionnel. Face à une chaise naturellement sédentaire, le tabouret, lui, est plutôt du genre nomade. Assis dessus à califourchon, on perçoit les choses différemment. Le point de vue n’est-il effectivement pas autre si proche du sol ?
Ce projet est né d’un souvenir, celui de ce siège rustique en bois que les fermiers utilisent dans les vallées alpines : le « tabouret de vacher », communément appelé « botte-cul ». Celui-là même que Charlotte Perriand a jadis traduit avec justesse dans une version à trois pieds destinée aux habitations de la station de sports d’hiver de Méribel-les-Allues (Savoie). L’exercice présent consiste à questionner des designers d’aujourd’hui sur cet archétype d’hier. Il aura fallu deux ans et demi pour produire ces 23 tabourets. Chacun d’eux apporte une réponse singulière. Chaque objet possède ses particularités propres : un matériau, une forme, une logique.
Le tabouret n’est pas un objet banal. En Afrique, ce siège est « une des articulations d’un système de pensée complexe construit sur les liens qui unissent, entre eux, la terre, les dieux, les ancêtres, la société, l’individu ; les mythes, les rites, les gestes quotidiens ; la matière, l’objet, la parole » (Le corps et la chaise, Jean-François Pirson, éd. Métaphores, 1990). Dans le palais du chef, la « Maison des tabourets » est une pièce sans fenêtre. Seules quelques personnes ont droit d’y entrer et régulièrement le gardien vient y faire des offrandes.
Les 23 tabourets ici exposés sont, eux, alignés à la queue leu leu. Procession mystique ou joyeuse parade ? Le silence y est de mise. En 1965, dans une performance intitulée Comment expliquer des peintures à un lièvre mort, Joseph Beuys est assis sur un tabouret. À l’animal empaillé qu’il serre dans ses bras, il explique le sens de l’art.