L’évidence au millimètre près.
Dans la cour de son atelier, à Gand, Maarten Van Severen avait installé une œuvre du sculpteur Philippe Van Isacker : un parallélépipède gris et parfait, maintenu à distance du sol, presque en lévitation, par quatre vérins d’acier. Sur la face supérieure étaient inscrits ces quelques mots : For the Right to Doubt, autrement dit « pour le droit au doute ». Certes, le designer belge Maarten Van Severen (1956-2005) pouvait parfois être en proie au doute. Cela arrive même aux plus brillants. En aucun cas ses objets. Ceux-ci étaient au contraire sûrs, précis, précieux. Un travail sur l’essentiel, et de la forme, et de la matière. En témoignent, une fois encore, ces deux pièces posthumes ici montrées, dessinées en 2001 : une bibliothèque murale et un bureau.
La première pièce, une bibliothèque oblongue, est en aluminium et sa façade constituée de quelques panneaux mobiles recouverts de laque phosphorescente. Quand on les fait coulisser, ils dissimulent un fragment de l’intérieur, mais en révèlent illico un autre. L’objet n’arbore que rarement le même visage. Il est surtout d’une longueur inouïe. Non pas 3,58 mètres. Ni 3,60 mètres d’ailleurs : « arrondir » n’était pas une philosophie pour Van Severen, notamment lorsqu’il s’agissait des « angles ». La bibliothèque mesure précisément 3,577 mètres. Ou plutôt 3377 millimètres, seule unité de mesure tolérable selon Van Severen. L’homme, qui fabriquait ses pièces de ses propres mains, les taillait au cordeau. L’évidence se jauge au millimètre près.
La seconde des deux pièces présentées, un bureau en bakélite noire, a évidemment été pensée sur le même registre. Dépouillement ultime : quatre pieds, un plateau, une seule et même épaisseur de matériau, lequel est aussi couleur. On frise l’archétype, voire l’idée. L’objet est à la fois initial et définitif. Ses proportions laissent à nouveau pantois, en particulier cette ampleur qui fait l’éloge de l’horizontalité. 2700 millimètres, exactement. Ce bureau n’a pas à proprement parler de « style ». Il ne dit rien, ni de sa faisabilité, ni de sa genèse. Il est juste lui-même, avec évidence. Présence incontestable. Il est là, tout simplement. Et simplement tout. Dernier parangon d’une œuvre rigoureuse, ascétique et silencieuse.
On savait le désir de perfection qui animait Maarten Van Severen. On découvre, au fil du temps, qu’il avait exploré l’existence dans ses plus infimes dimensions.