Avec Jello, sa première collaboration avec la Galerie kreo, Marco Campardo met en avant cette démarche en repensant la relation entre le moule et le résultat, entre le processus et l’objet. Là où l’approche classique suppose que le designer conçoive une forme idéale destinée à être reproduite à l’infini grâce à la précision d’un moule, le travail de Marco Campardo repose sur le principe que les formes ne naissent pas d’un dessin sur papier, mais d’un processus de fabrication intuitif et manuel. Rarement Campardo conçoit une pièce à partir de rien. Ce qui l’attire souvent, c’est le choix d’un matériau ou la recherche d’une solution intuitive aux contraintes propres à un projet. Son enfance passée dans l’atelier de menuiserie de son père a profondément marqué son regard, lui permettant d’acquérir une compréhension technique des objets, de leur fabrication et leur usage. La collection Jello, présentée à la Galerie kreo à Paris du 7 février au 12 avril, s’inscrit dans cette démarche expérimentale, tout comme ses projets antérieurs tels que Sugar Shapes, George ou encore la chaise Elle. À travers eux, Campardo conçoit le design comme un médium spéculatif, enraciné dans l’exploration des matériaux et les processus de production, avec curiosité et rigueur.
Lorsque j’ai rencontré Marco il y a quinze ans, son rapport au design était presque exclusivement bidimensionnel : il était graphiste. Un graphiste au style épuré, marqué par une rigueur typographique héritée de Helvetica, mais enrichi d’un esprit méditerranéen, si convaincu de son approche du design que je n’aurais pu l’imaginer sortir de ce cadre. Pourtant, en 2019, lorsque je l’ai invité à concevoir l’identité visuelle du MACRO, le musée d’art contemporain de Rome que je dirigeais alors, c’était avec la certitude qu’il pourrait dépasser les limites du graphisme pour explorer les formes et les espaces en trois dimensions. Ainsi, il s’est mis à concevoir des systèmes d’assise et des dispositifs d’exposition. C’est à cette occasion que j’ai assisté, avec surprise, à la transformation de Marco Campardo : de créateur de signes, il devenait créateur d’objets. Lors d’un atelier au MACRO, destiné à produire des tabourets avec un budget minimal et des outils rudimentaires, Marco a imaginé un processus permettant de créer des objets en série tout en conservant leur unicité, en utilisant un moule en carton au lieu de silicone.
C’est ainsi qu’est né Jello, présenté aujourd’hui. Un projet – et une idée – conçu pour dépasser les contraintes de temps, d’espace, de matériaux et de technologies, qui s’est paradoxalement transformé en une sorte de manifeste personnel. L’utilisation d’un matériau modeste, le carton, dans les premières versions de cette série, se voulait un acte de résistance face aux conventions du design, embrassant la simplicité et l’imperfection. Depuis les simples tabourets créés pour le MACRO, le projet a évolué au fil des années pour inclure une constellation d’objets de grande taille présentés pour la première fois à la Galerie kreo : une table à manger, une table basse carrée, une console, un banc, un miroir- fauteuil. Bien que les techniques se soient sophistiquées et affinées, elles conservent les traces et l’essence de l’approche initiale, visibles dans les objets eux-mêmes : leurs motifs ondulés distinctifs reflètent le dialogue unique entre le matériau et le processus.
Avec Jello, Campardo ne dessine pas les formes des objets ; il intervient directement sur le négatif. Designer analogue, il rejette toute retouche post-production, faisant pleinement confiance au processus. Ainsi, l’esthétique des objets présentés à la Galerie kreo est déterminée par les techniques qui les ont façonnés, et par leurs constellations de couleurs uniques. Si je devais imaginer Marco Campardo dans une crèche du design, il figurerait parmi ces personnages qui conçoivent le design non pas comme un style, mais comme un langage. « Les styles vont et viennent. Le bon design est un langage, pas un style », disait Massimo Vignelli. Tandis que la génération d’Enzo Mari, Bruno Munari et Ettore Sottsass prônait une rupture des formats et une expérimentation tous azimuts, Campardo, lui, privilégie une recherche méthodique dans un domaine précis, comme un choix idéologique.
Aujourd’hui, dans les mondes de l’art et du design, nous assistons à une fluidité totale, à un glissement constant entre les langages. C’est en ce sens que Marco Campardo incarne une contemporanéité intemporelle, poursuivant une démarche à la fois méthodique et conceptuelle, avec pour seules concessions les couleurs et les titres.
Luca Lo Pinto