Le projet de la galerie, comme celui de la chapelle, peuvent être lus comme un manifeste. Celui du principe philosophique de parcimonie, qui s’applique au champ de l’art comme à celui de la science –il postule qu’une proposition scientifique tient sa beauté du fait qu’elle explique beaucoup à partir de peu. La parcimonie, c’est ici la réduction au minimum du vocabulaire des matériaux et des formes, afin de donner lieu à des objets, des atmosphères, des sensations. L’ensemble des pièces se compose de 3 matériaux, 4 types d’objets et 3 couleurs, rythme ternaire qui évoque celui du haïku japonais (trois lignes de 5/7/5 syllabes), modèle idéal de parcimonie poétique.
3 matériaux. Le granit « Nuit celtique de Huelgoat », ténébreux, constellé d’éclats blanc, extrait et travaillé à quelques kilomètres des Monts d’Arrée. L’acier forgé et martelé, également en Bretagne, qui prolonge, dans le registre de l’artisanat d’art et du geste de la main, l’exploration des potentialités du ferro battuto engagée depuis 2015. Enfin, le verre coulé et argenté, réalisé par les maestri verriers du Veneto avec lesquels Ronan Bouroullec collabore depuis 2018.
4 types d’objets, assemblés en un choix résolument resserré de variations. Les hauts bougeoirs (153, 164 et 180 cm), en fonte d’acier sur base de granit. Les consoles, de granit bouchardé, aux arêtes adoucies, dont la masse contraste avec l’apparente délicatesse des six pieds dans lesquels elles sont simplement insérées, lesquels se prolongent vers le haut en autant de porte-bougies. Les miroirs de verre coulé et argenté, qui semblent presque immatériels malgré leur épaisseur (3 cm) et leur poids considérable (près de 100 kg). Les tables de verre, miroirs rectangulaires basculés à l’horizontale, reposant sur des structures d’acier hautes (75 cm) ou basses (33 cm).
3 couleurs de verre dialoguent avec les tonalités du granit sombre et la patine galvanisée de l’acier. Deux sont nouvelles dans l’univers chromatique de Ronan Bouroullec, évocatrices de notions de fluidité pour l’une -un vert d’eau- et de profondeur pour l’autre -un grenat presque noir. La troisième, l’argent, s’inscrit dans la suite du miroir Flou de la Bourse de Commerce à Paris et de celui de la chapelle bretonne, où il joue un rôle essentiel de source de lumière, autant que de point de fuite qui organise l’espace et la perspective.
C’est ce miroir rond argenté coloré, centré sur le mur du fond, qui structure également l’espace de la galerie, créant la sensation d’une sorte de nef, comme une réminiscence de l’atmosphère de la chapelle. Une réminiscence, un écho, mais en aucun cas une reconstitution car s’il s’agit de rappeler le contexte qui a fait naître les pièces, il s’agit aussi de leur permettre de s’en émanciper. De manifester leur autonomie -par rapport tant à leur genèse qu’à leur usage initial- et leur liberté.
L’enjeu de l’exposition est, en quelque sorte, de les affranchir d’un projet extrêmement situé dans une géographie à la beauté exceptionnelle (le site, le paysage qu’elle domine, la nature, la puissance des éléments, de la pluie, du vent), et profondément ancré depuis l’enfance dans la mémoire de Ronan Bouroullec. De les détacher de leurs usages initiaux, la célébration, le recueillement, l’offrande, l’hospitalité à l’égard des visiteurs, croyants ou randonneurs. De les décontextualiser, pour leur permettre de répondre à d’autres questions que celles qui ont déterminé leur création.
Les socles (quadrilatères de graviers gris légèrement surélevés) conçus par Ronan Bouroullec illustrent ce processus de distanciation visuelle (l’aire plus claire qu’ils dessine détache les pièces et les rend plus lisibles) autant que conceptuelle (poser un objet sur un socle, c’est suspendre sa valeur d’usage). L’espace de la galerie est un espace de neutralité, d’abstraction, qui rend possible et organise la transition de l’espace public à l’espace intime, de l’abri collectif à la maison privée, de la liturgie à la vie quotidienne. Tout en préservant, d’un registre à l’autre, la dimension de l’expérience sensible produite par les pièces. D’un monde à l’autre, elle est faite de vibration, d’équilibre, de magie, d’émotion.