Comme échappées d’une toile du romantisme allemand, où l’artiste agissait tel un médiateur entre la créativité et le divin, cette série d’objets lumineux en forme de champignons trône sur une plateforme dans la galerie à Paris. Leurs surfaces brillantes et leurs couleurs fluctuantes créent une scène spectrale à l’intérieur de l’espace d’exposition. Pour donner vie au « Mystic Garden », le duo Sedlmair et Sigurðarson a travaillé avec des souffleurs de verre du Cirva, le Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques à Marseille, en France, afin de repousser les limites de ce que le verre soufflé à grande échelle peut accomplir, malgré les contraintes liées à la manipulation d’un matériau chaud en un temps limité. Ces larges volumes, entièrement fabriqués à la main, émettent une lumière suggestive, pouvant être interprétés comme des manifestations d’âmes, voire de personnages. Ils font écho à la philosophie allemande décrivant le corps que l’on a, et le corps que l’on est, comme des entités complémentaires, les mots « Körper » et « Leib » résonnant dans leur présence. Ces objets en verre varient dans des teintes uniques, chacun rayonnant sa propre aura dans l’espace. Ils sollicitent notre imagination en insufflant de la vie à des objets domestiques.
L’appréciation du corps évolue au gré du temps. La résurgence de la chair dans la peinture, la sculpture et la littérature a suivi les siècles sombres, marqués par une ère médiévale axée sur l’âme et le monde intérieur plutôt que le corps. Sous l’influence croissante des médias sociaux et des smartphones, façonnant de nouvelles identités numériques, nos corps et leur relation aux objets ont depuis longtemps été au centre de l’attention de Sedlmair et Sigurðarson. Le duo a développé sa pratique au cours de la dernière décennie, période où des préoccupations politiques concernant la préservation de la nature ont émergé, incitant à une considération plus éthique de ce que nous possédons, et où la spiritualité tente de trouver sa place dans nos vies quotidiennes. Lors de leur première exposition « The Silent Village » à la Galerie kreo en 2013, le duo s’est d’abord intéressé aux singularités régionales et à l’esthétique folklorique de l’environnement côtier de l’Islande. Aujourd’hui, les Alpes allemandes, où leur studio est basé depuis 2019, inspirent leur nouvelle narration. Cette collection présentée à la galerie s’inspire en effet d’un personnage fictif, « Hermite Sveinsson » pratiquant des rituels dans une rivière, lui permettant de fusionner thérapie respiratoire et chromothérapie tirées de la forêt.
Allumés comme éteints, les objets lumineux du « Mystic Garden » révèlent des dégradés colorés inédits, qui mettent en évidence la translucidité de leurs formes et leur nature « vivante ». Les designers ont développé une recherche sur plusieurs années afin de transformer deux volumes de verre liquide de couleurs intérieures et extérieures ainsi que des dégradés différents, fusionnés lors du soufflage, et donnant ainsi vie à des objets colorés au spectre de couleurs fugace, capturant des teintes juste avant leur transformation. Une sorte de moment surnaturel comparable à l’apparition d’arcs-en-ciel ou à la lumière filtrant à travers un dense bouquet d’arbres à l’aube à l’automne.
Le « Mystic Garden » s’inscrit parfaitement dans l’œuvre de Sedlmair et Sigurðarson, nourri de références théâtrales et naturelles, mais aussi de leurs recherches liées à l’anthropologie et à la géologie. A la suite de projets tels qu’un ensemble de pierres en céramique pour t.e. (Thomas Eyck) aux Pays-Bas, des stores en cristal avec Swarovski en Autriche, leur Circle Flute qui a fait le tour du monde avec Björk, ou leur première œuvre d’art publique sur les rives d’une rivière de la Forêt-Noire au sud-ouest de l’Allemagne, dans le cadre du programme culturel Ornamenta, il devient évident que, pour le duo d’artistes, le sublime réside non pas dans la beauté, mais dans l’intensité et l’émotion. En réutilisant certaines idées des romantiques, ils soulèvent à nouveau la tension entre le factuel et les projections irrationnelles et surnaturelles du génie créatif, perçue comme un danger par certains et comme une opportunité par d’autres.
Les objets lumineux empreints d’âme du « Mystic Garden » nous emportent dans un paysage futuriste marqué d’idéaux romantiques.
Veronika Sedlmair et Brynjar Sigurðarson à la Galerie kreo, 2024
Jules van den Langenberg