Il est un petit détail, néanmoins significatif, sur la lampe Arco d’Achille et Pier Giacomo Castiglioni que Konstantin Grcic admire. Un trou traverse la base rectangulaire en marbre, assez large pour y glisser un manche à balai, de sorte que deux personnes puissent l’utiliser pour soulever la pierre...
Il est un petit détail, néanmoins significatif, sur la lampe Arco d’Achille et Pier Giacomo Castiglioni que Konstantin Grcic admire. Un trou traverse la base rectangulaire en marbre, assez large pour y glisser un manche à balai, de sorte que deux personnes puissent l’utiliser pour soulever la pierre. C’est une drôle de contradiction : associer le marbre raffiné et luxueux à un objet si modeste pour parfaire la fonctionnalité de la lampe.
Ce détail a été appliqué par Grcic aux six objets de la nouvelle collection
VOLUMES conçue pour la Galerie kreo. Réalisées dans une pierre bleue, le bleu de Savoie, les pièces comportent toutes ce même vide circulaire traversant leur base. Toutefois, si Arco est une lampe, VOLUMES n’a pas de fonction domestique aussi évidente. Au contraire, les pièces présentées constituent des propositions ouvertes et libres.
Réputé pour penser ses dessins industriels dans les moindres détails, Grcic a vu ce projet comme un exercice de simplification, tant dans l’expression que dans la construction. L’idée était de créer des objets pouvant être fabriqués avec un matériau unique, sans structure ou support supplémentaire. « J’ai tout de suite imaginé ces objets faits de
pierre », affirme Grcic. « Ils sont découpés dans un bloc massif plutôt que construits à partir de différents éléments et composants. C’est une approche qui correspond à ma manière habituelle de penser et de faire ».
Cependant, la réalisation est plus compliquée qu’il n’y paraît. Une fois chaque bloc taillé dans la forme désirée, la finition de leur surface demeure lisse. Pour un usage domestique, la finition est habituellement mise en valeur et le polissage est accentué. Dans un geste qui va à l’encontre de cet usage, la surface des objets en pierre VOLUMES a été sablée, créant ainsi un aspect semblable à la texture naturelle de la pierre.
Il y a une contradiction inhérente à l’aspect naturel d’une construction artificielle qui est à la fois attrayante et déconcertante. VOLUMES évoque d’autres structures toutes aussi muettes et monolithiques qui font allusion à des fonctions insolites ou inconnues. Prenez par exemple les silex de l’âge de pierre, clairement conçus comme outils, ils sont suffisamment usés de nos jours pour être confondus avec de petites pierres érodées par la nature. De même, le monolithe que la plupart d’entre nous avons dans notre poche, une tablette noire et brillante qui révèle son contenu au toucher de notre pouce. Utilisé comme outil d’accès aux données numériques, ce dispositif possède un corps essentiellement minéral. Dans les mains des générations futures, il pourrait sembler aussi étranger que les monolithes noirs de L’Odyssée de l’espace, roman de science-fiction écrit par Arthur C. Clarke en 1968 et transformé en chef-d’œuvre cinématographique par Stanley Kubrick. Dans L’Odyssée de l’espace, Clarke décrit le monolithe comme une machine dont personne ne se souvient de la fonction.
Les monolithes de Grcic ont des caractères ambivalents. Ils ont six formes distinctes, approximativement du même volume qu’un tabouret ou une chaise, ce qui laisse entendre leur usage suggéré, mais n’est pas suffisant pour révéler leur fonction exacte. Cette utilisation non déterminée est inédite et audacieuse. En ce sens, VOLUMES est une expérience abstraite très différente des autres collections créées par Grcic pour la Galerie kreo. Sa première exposition personelle Champions s’est appropriée l’image des équipements sportifs par l’application de graphismes lacqués à la main sur les pieds métalliques des tables. La deuxième, Man Machine, a poussé la fonction et l’utilisation du verre, tandis que Hieronymus a expérimenté la création de meubles comme des microarchitectures. Le caractère abstrait de VOLUMES est un intrigant détournement; du cérébral vers l’instinctif et vers la fabrication d’objets d’un usage incertain.
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Johanna Agerman Ross
Curator of Twentieth Century and Contemporary Furniture and Product Design at the Victoria & Albert Museum in London
Founder of the quarterly design journal Disegno