Verre et miroir, céramique et porcelaine, bois ou mélaminé, plastique, matériel électronique, luminaires, Ettore Sottsass, Jr., 83 ans, a marqué de son empreinte pleine d’humour et d’humanisme tous les médiums qu’il a utilisés. Poltronova, Venini, Olivetti, mais aussi Artemide, Tissot, Knoll, Zanotta, Alessi, Habitat : Ettore Sottsass a signé de grands succès d’édition pour les plus célèbres firmes...
Verre et miroir, céramique et porcelaine, bois ou mélaminé, plastique, matériel électronique, luminaires, Ettore Sottsass, Jr., 83 ans, a marqué de son empreinte pleine d’humour et d’humanisme tous les médiums qu’il a utilisés. Poltronova, Venini, Olivetti, mais aussi Artemide, Tissot, Knoll, Zanotta, Alessi, Habitat : Ettore Sottsass a signé de grands succès d’édition pour les plus célèbres firmes.
« Pape », Sottsass n’en est pas moins resté homme. Plus que tout autre, il transmet dans tous ses projets un profond humanisme. L’univers coloré, ludique, que participe à créer chacun de ses objets est intimement lié à un ensemble de symboles sémantiques complexe et universel. Avec lui, la coupe devient calice, un simple cendrier, matrice féminine, un vase, sexe turgescent.
« Faire du design, pour moi, ce n’est pas donner forme à un produit, un produit plus ou moins stupide pour une industrie plus ou moins luxueuse. Pour moi, le design est une façon de débattre de la vie, des rapports sociaux, de politique, de cuisine et même du design lui-même. » affirmait Ettore Sottsass en 1981, au moment de la fondation du groupe Memphis.
En 1957 déjà, alors qu’il était l’un des rares participants de la Première Conférence de l’Internationale Situationniste à Alba, il ne pensait pas autrement. Sottsass / Debord, même combat ? Pourquoi pas : après une présentation partielle au Centre Georges Pompidou à Paris en 1994, la première exposition française de l’intégralité des photographies qui constituent la série « Metafore » (1972-1979) renouvelle profondément la connaissance et la compréhension du travail d’Ettore Sottsass.
Les années 60 ont été extrêmement prolifiques pour celui qu’on appelle « le Pape du Design ». Menant en parallèle une brillante carrière de designer industriel (pour Olivetti, notamment) et de céramiste hors norme (séries shiva, yantra, tantra), Sottsass inaugure (1959) et clôt (1970) la décennie par deux « compasso d’oro », récompense suprême. Ces années s’achèvent avec l ‘édition, par Poltronova, de quelques-uns de ses meubles les plus célèbres (Mobili grigi), dont le fameux miroir encadré d’ondoyants néons. Du situationnisme au pop en une petite dizaine d’années : le grand écart ne pouvait s’effectuer sans malentendu ni remise en question.
Les années 70 seront donc pour Sottsass beaucoup moins productives, en apparence. Essentiellement, il se consacre à la photographie, aux 5 séries qu’il regroupera sous le terme générique « Metafore ». 3 ensembles de propositions de design utopique : pour les destins de l’Homme, pour les droits de l’Homme, pour les besoins des animaux, et 2 ensembles purement « situationnistes », Fiancées et Décorations. Ainsi, cette décennie « sans objets » est peut-être la plus riche en propositions dans le domaine du design.
Chaque photographie, en effet, est le témoignage d’une installation in situ, dans un cadre naturel. Chaque installation est une tentative poétique et ironique pour inventer de nouvelles relations entre l’utilisateur et l’objet.
Dans les « design pour les destins de l’homme » se retrouvent par exemple des propositions de « design d’une porte pour pénétrer dans l’ombre » ou encore de « design d’un escalier pour accéder au pouvoir ».
Dans les « design pour les droits de l’homme », des propositions alternatives sont illustrées, comme « Désires-tu dormir, ou désires-tu un lit » ou « Désires-tu t’asseoir, ou désires-tu un trône ».
Dans les « design pour les besoins des animaux », on découvre un étonnant projet de « télévision pour papillons de nuit » et même un « monument pour vers de terre ».
Ce travail artistique, que l’on ne peut guère comparer qu’à ceux d’Enzo Mari et Bruno Munari, est pour Ettore Sottsass la transition qui lui permet de bâtir une nouvelle conception du design. En appliquant aux arts décoratifs des processus de pensée théoriques au service d’une « morale » de l’objet qui, profondément, ne doit rien à la pensée moderniste, il a, le premier peut-être, anticipé le destin de l’art à l’ère de sa reproductibilité technique.
Ces propositions en forme d’interrogations, formulées durant toutes les années 70 dans les photographies de la série « Metafore », sont à mettre en parallèle des événements qui leur sont contemporains, et dans lesquels Ettore Sottsass a joué un rôle décisif :
– En 1973 il crée avec Alessandro Mendini et Gaetano Pesce l’école « Global Tools », structure expérimentale qui est à l’origine de l’invention de concepts déterminants tels le « banal design » et l’ « anti-design ».
– En 1976 il participe à la création d’Alchimia, avec Michele de Lucchi et Andrea Branzi, et à la formation du « Nuovo Design »,
– En 1981, enfin, il fonde avec Michele de Lucchi le groupe Memphis qui, en intégrant des nouveaux venus comme Shiro Kuramata, Javier Mariscal ou Michael Graves, parmi beaucoup d’autres, assurera à Sottsass un succès international.
Ainsi, dès le début des années 80, les propositions révolutionnaires contenues dans la série « Metafore » deviendront effectivement réalité : les meubles et objets Memphis dessinés par Ettore Sottsass terniront durablement, dans l’univers du design, l’aura de notions comme le fonctionnalisme, le bon goût ou même le confort d’usage.
Stéphane Corréard
*Design pour le destin de l’homme.
Design de l’horrible message de l’homme aux autres planétes. San Giminiano. 1976.